L’éducation à la maison est une certitude pour moi. Avec ma grande qui présente des aptitudes intellectuelles remarquables et un éveil incroyable, la mettre dans le système scolaire classique reviendrait à la condamner à la norme qu’elle dépasse déjà. Partir sur une vie nomade et un worldschooling est une continuité de l’IEF, à savoir qu’on bénéficie en plus d’une vision nouvelle du monde et d’une expérience de vie sur le terrain à nulle autre pareille. Seulement voilà, si ces choix d’éducation ont de multiples avantages qui feront de nos enfants des rois philosophes demain, il reste cependant un gros inconvénient : le cercle d’amis.
Non, l’IEF ne renferme pas les enfants et ne les rend pas associables
Le plus gros reproche que les gens formulent à l’encontre de l’éducation à la maison est systématiquement la même chose : les enlever de l’école les rend associable. A l’école, on apprend en groupe (l’un des slogans de l’éducation nationale) et on se fait des copains ; à la maison, on reste en vase clos avec sa fratrie au plus, ses parents au moins. Cet argument est revenu de nombreuses fois dans les conversations à mesure qu’on faisait le choix de privilégier une éducation en famille. Cela peut paraître compréhensible : priver les enfants de contact humain les replie sur eux-mêmes. Sauf que la réalité est toute autre.
Premièrement, il faut bien distinguer deux choses : l’école avec son enseignement, ses rapports sociaux et son rythme et, d’un autre côté, le contact humain. Si le premier incluse le second, la réciproque n’est pas vraie. Dans notre cas, nous avons vu ce risque d’isolement et avons décidé d’ajouter à notre rythme scolaire personnel des temps de groupe : sortie en famille dans des lieux d’enfants (parcs), activités sportives ou associatives. L’idée était de favoriser les rencontres humaines en dehors de l’école, dans des lieux et contextes qui s’y prêtaient plus. En quoi est-ce que c’est mieux à mon sens que l’école ? Parce que là, on ne subit pas l’autre, on le choisit. Dans un parc, on peut choisir de jouer avec quelqu’un ou pas ; à l’école, on peut faire le choix mais il peut s’avérer impossible d’échapper à quelqu’un et, à fortiori, aux autres. Après tout, qui peut dire que l’école lui a permis d’avoir des amis pour la vie et/ou d’adorer ses camarades de classe ? Une minorité. La grande majorité des gens se sont émancipés dans les classes supérieures au lycée voir à l’université ou même au-delà dans la vie active ou les découvertes multiples. Là où je veux en venir, c’est que l’école reste le début de tout et n’est pas souvent le commencent de l’amitié réelle et durable.
Ces activités extrascolaires sont destinées à confronter nos enfants à d’autres et, pourquoi pas, se lier d’amitié. C’est le cas dans notre groupe de bébés nageurs où le même noyau dur se suit depuis 3 ans. Après la baignade, on partage un encas, les enfants jouent ensemble, les parents discutent et échangent. Il nous arrive même de nous retrouver en dehors pour profiter les uns des autres en toute simplicité. Voici mon point deux : l’école à la maison ne rend pas l’enfant associable. Si cette idée peut être envisagée rapidement, elle se révèle vite erronée. L’enfant, au centre de l’attention en IEF, développe exponentiellement sa sécurité affective et physique, sa confiance en lui et sa maîtrise de lui-même. En face à face, il est dur de se cacher ou de ne pas se dévoiler : on découvre ses limites, on apprend à faire mieux qu’avant, on reproduit l’exemple qu’on voit tous les jours et on avance. Vite, très vite même dans certains cas. Notre fille de maintenant 4 ans n’a jamais été farouche quand il s’agit de jouer avec les autres enfants, même dans des pays étrangers où la barrière de la langue semble être insurmontable pour nous adultes. Le jeu a cette puissance de rassembler le monde. Mais reprenons, notre enfant n’a pas une confiance inébranlable en elle mais se connaît bien, mieux que d’autres de son âge. Et si elle boude la conversation ou ne répond pas aux questions, c’est en face d’adultes qui lui demandent comment elle va ou si elle a bien dormi. L’explication est double : les questions ne lui parlent pas (elles n’ont aucun intérêt pour elle) et elle a plus de mal à parler avec l’adulte qu’elle ne connaît pas, un réflexe de défense inné que je me garde bien de forcer. Ces derniers temps, à l’approche du fameux « fucking four » des britanniques, elle s’est un peu refermée sur elle-même avec une réserve à aller vers les autres enfants certaines fois, notamment quand il s’agit de groupes soudés. Cela est resté un moment relativement court qui s’avérera épisodique dans sa vie tant sa faculté à s’amuser avec les autres prend le pas sur ses craintes.
C’est une des richesses de l’IEF et du nomadisme, la possibilité de se lier le temps de quelques minutes ou quelques heures avec un autre enfant sans savoir parler avec lui, sans connaître son nom et pourtant, en partageant la même joie de vivre et de s’amuser.
L’amitié délicate et éphémère en nomade
Cependant, ce trésor de découverte qu’est le Worldschooling devient aussi un fardeau, dès lors qu’on veut renouer avec ses amis laissés en France ou ceux rencontrés à l’étape précédente. Cette réalité du chemin a pris tout son sens cette année, quand on est parti de France pour plusieurs mois au moins. On a laissé derrière nous des jouets, des habits, du matériel et, surtout, des gens. Si mademoiselle nous réclame certaines fois ses jouets, ce sont surtout les gens qui lui manquent. Bien entendu, on a la possibilité grâce à l’ère du temps de se voir sur WhatsApp en temps réel et en vidéo, ce qui rend le concept de distance assez délicat à appréhender.
Mais le point sur lequel on ne peut pas tricher, ce sont les amis. Finis les bébés nageurs, finies les sorties au parc du village, finies les visites chez les copains pour jouer. On habite ailleurs, et cet ailleurs n’inclue pas tout notre cercle d’amis, assez réduit soit-il. Ce manque s’exprime de plus en plus chez notre enfant à mesure que le temps passe et que la réalité s’impose à elle. Pour atténuer cette impression, on a créé des groupes WhatsApp avec chaque famille pour envoyer une fois par semaine des nouvelles de l’étranger en échange de nouvelles de la France. Une discipline de correspondance s’est aussi imposée naturellement, les gens restent ravis de recevoir du courrier postal personnel – et nous sommes aussi heureux de recevoir une missive dédicacée.
Reste que les amis ne sont plus là ou, s’ils sont présents par leurs attentions, leurs messages, leurs photos et vidéos, ne sont plus palpables et appréciables dans la réalité du quotidien. C’est l’une sinon la seule limite de ce mode de vie en nomade : on laisse derrière nous le matériel mais aussi l’humain et, quand on est adulte, cela est bien plus facile que lorsqu’on est enfant. Malgré nos efforts, cette absence ne peut pas se combler facilement et doit laisser à l’avenir le temps de panser ces plaies d’amitié. L’une des plus grandes attentes de notre famille reste numéro 2 qui, du haut de sa première année, devient un compagnon de jeu docile et, bientôt, un frère en puissance qui pourra partager plus avec elle.
Cela ne remet pas encore notre choix de vie nomade car cette décision est assumée et nous permet d’avoir un cadre de vie plus bienveillant, sécurisé et profitable qu’en France. Cependant, c’est un frein pour notre enfant qui s’est retrouvée coupée de ses attaches sans vraiment maîtriser l’impact de cette nouvelle vie. Et, de tristesse personnelle, cela devient un fardeau familial qu’il nous faut supporter tous ensemble pour mieux affronter demain.